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AMABLE FAUCON
Poètc^ Limagnien
PARIS
H. CHAMPION, ÉDITEUR
LIBRAIRIE SPÉCIALE DE L'HISTOIRE DE FRANCE
9, quai Voltaire, 9
1896
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FïZct
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in 2013
http://archive.org/details/leflibrigearvernOOviss
AMABLE FAUCON
DU MEME AUTEUR
EN VENTE :
De Gumpertz, seigneurs de Gusten. — Plaq. in-40, 1868.
Le Monde héraldique. — Aperçus historiques sur le Moyen-Age. — In- 8°.
Riom, Jouvet, 1870.
Allégories et Symboles. — In-8°. Paris, Aubry, 1872.
Notice sur M. Archon-Desperouses. — Plaq. in-8°, 1874.
Chateaugay et ses Seigneurs. — Chronique du pays d'Auvergne. — In-8°.
Riom, Leboyer, 1880. — Epuisé.
Romme-le-Montagnard. — Un Conventionnel du Puy-de-Dôme. In-8°.
Clermont, Dilhan-Vivès, i883. — Epuisé.
Le journal de l'Oratoire de Riom. — In-8\ Riom, Girerd, 1884.
L'église St-Amable de Riom. — In-18. Riom, Girerd, 1888.
Chronique de la Ligue dans la Basse- Auvergne. — In-8°. Riom, Girerd,
1888.
L'église Notre-Dame du Marthuret. — In-18. Riom, Girerd, 1889.
Le président Ancelot. — Plaq. in-8°. Clermont, Bellet, 1890.
Simon Camboulas. — Les révolutionnaires du Roucrguc. — In-8°. Riom,
Girerd, 1893.
En publication :
Le tribunal criminel du Puy-de-Dome. — Grand in-8°. Riom. Jouvet.
AVIGNON. — IMPRIMERIE FRANÇOIS SEGUIN
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1ICHEL, PHOT., AVIGNOh
AMABLK FAUCON
Marc de VISSAC
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AMABLE FAUCON
Poètc^ himagnten
PARIS
H. CHAMPION, ÉDITEUR
LIBRAIRIE SPÉCIALE DE L'HISTOIRE DE FRANCE
g, quai Voltaire, 9
1896
AMABLE FAUCON
Une tête de veau, longue, bonasse, épilée, sur le som-
met de laquelle la fraise aurait été disposée en cadenettes
recouvrant de leur triple frisure d'interminables oreilles ;
des yeux bleu clair, un peu noyés mais vifs, ronds, cares-
sants, du milieu desquels pend un nez immense en forme
d'aubergine, aquilin à rendre jaloux un perroquet, et dont
l'aile mobile est brusquement creusée de profondes cavi-
tés à la membrane sensuelle ; une bouche rabelaisienne
dont la lèvre inférieure retombe sur un menton à fossette ;
un torse massif et lourd emboîté dans une casaque à dix
boutons ; une main osseuse, épaisse, chiffonnant une
manchette de dentelles avec la grâce d'un pachyderme
qui enfilerait des gants, et tenant dans ses robustes pha-
langes un bâton noueux, canne, houlette, perche ou
marotte :
Tel était au physique Amable Faucon, poète limagnien,
si l'on en croit le portrait que le peintre russe Voronikin
crayonnait en 1786, sur l'album de Gilbert Romme, le
futur Montagnard.
Mais, à l'époque de cette esquisse, Faucon avait déjà
62 ans, et le temps, ce déformateur impavide, en amollis -
0 AMABLE FAUCON
sant les chairs, en empâtant les traits, avait substitué ce
masque grotesque à la physionomie la plus originale, la
plus joviale, la plus immuablement sereine que Ton eût
jamais rencontrée dans la patrie de Pascal.
Faucon était né le 21 septembre 1724, à l'heure de midi,
au fond de la boutique de chapelier que Pierre Faucon,
son père, et Françoise Roux, sa mère, occupaient à Riom,
dans la rue des Taules. Il était le dixième des treize en-
fants issus de leur union. Le marchand perruquier qui
lui servit de parrain lui avait imposé sur les fonds baptis-
maux le doux prénom d'Amable, que tout bon Riomois
arborait alors dès le berceau en honneur du saint patron
de sa ville natale.
Léger de cervelle, leste de corps, content de peu, content
de tout, avait-il assez gamine et patoisé, le jeune Amable,
avec les bâb'is de son âge, le long des remparts, sous le
foussay autour des grenouillères de la Bade, dans les
fanges du Marais, dans les creux empoissonnés de laMorge,
de l'Ambène et du Ponturin, en quête des nids de pinsons
sous la ramure ou des mousses gcrmées aux anfractuosités
des roches et aux lézardes des manoirs en ruines !
Le collège de l'Oratoire l'avait vu ensuite, aussi insou-
ciant, aussi éveillé, glissant sous la discipline sans la
fronder, sous l'étude sans l'approfondir. Intelligent, mais
superficiel à l'excès, il glanait de ci de là, en se jouant,
quelques épis d'abondance, dans ce champ de l'instruction
où il se fût volontiers borné à cultiver la prosodie et YArs
poeticciy plus en rapport avec sa nature harmonique et
vague. Son nom ne figurait jamais sur la liste des lauréats,
mais en revanche il figurait toujours sur le programme
des scènes récréatives de la salle des actes. Quand le régent
posait à ses élèves une interrogation captieuse : Scio quia,
s'écriait invariablement, dans le jargon de l'école, le jeune
AMABLE FAUCON 7
étourdi qui, de bonne foi, croyait savoir. Et en réalité il
ne savait rien du tout. Puis, lorsque le professeur s'éver-
tuait à déduire la raison des choses, les causes et les effets,
le polisson, comme illuminé par une clarté soudaine, l'in-
terrompait encore par cette bizarre exclamation : Très il
est suffit ! aux grands ébattements de la classe en belle
humeur.
Pour ses maîtres, l'élève Scio quia ou Très il est suffit
n'était et ne serait jamais qu'un joyeux cancre. Pour ses
condisciples, il demeurait un bon garçon, un gai compa-
gnon, un charmant camarade. La bonté et la franchise
qui faisaient le fond de son caractère lui valaient de nom-
breux amis, qu'il aimait de son côté méridionalement,
avec démonstration et exubérance.
Qu'allait-il devenir à ce tournant de la vie où l'adoles-
cent, sorti de pages, doit s'orienter et choisir le sentier
pratique de son existence ? L'option n'était pas aisée.
Absolument sans fortune il ne pouvait, à l'exemple de
ses deux camarades Boirat et Delarbre, aborder Tétude des
sciences naturelles ou médicales. — Les fonctions de judica-
ture, aussi foisonnantes à Riom que les abeilles dans une
ruche, lui étaient, pour le même motif, également inter-
dites. — Frapper à la porte du sanctuaire ou s'enrôler avec
ses deux autres compatriotes et amis, Beaulaton et Ordi-
naire, dans la légion de l'Oratoire ? Mais il ne se sentait ni
la vocation du sacerdoce, ni celle de l'enseignement. Il
avait d'ailleurs foulé le sol classique sans y laisser une
magistrale empreinte et sans y puiser le zèle fécond des
disciples de Bérulle. — Prendre place, en compagnie de
son cher Dubreuil, dans le régiment du Blaisois ou du
Cambrésis ? Oh ! cela jamais ! Son instinct répugnait aux
batailles. Pareil à Horace fuyant à toutes jambes dans les
plaines de Philippes, a relicta, non bene, parmula », il eût
8 AMABLE FAUCON
jeté son bouclier à la première alerte, tout en avouant que
ce n'était pas bien, non bene.
Tout autre eut été perplexe, mais le bon Faucon ne se
tourmentait pas pour si peu. Cela s'arrangerait à la longue.
Sa bonhomie, anticipant sur la philosophie du chantre de
Lisette, s'en remettait avec confiance au Dieu des bonnes
gens.
En attendant les manifestations de la Providence, il
écoula de bonne grâce, dans la boutique paternelle, les
coiffures de soie, de drap, de cuir ou de feutre, vantant in-
différemment à la pratique le poil de lièvre, de lapin, de
castor, faisant ressortir la différence de lustre et de finesse
suivant que le pelage provenait d'un lièvre de France, de
Saxe ou de Russie.
Du comptoir des chapeaux il passa bientôt à l'officine
d'un procureur et basochia durant plusieurs années. La
confrérie était nombreuse, car les prétoires pullulaient
dans la vieille cité ducale dont l'air était saturé d'une sen-
teur concentrée de sacs de procédure, de parchemins, de
papiers timbrés à la fleur de lys ou au gonfanon de la
Généralité. Une légion de plumitifs taillait de la besogne
à la Sénéchaussée, au Présidial, au Bureau des Finances,
à l'Election, à la Monnaie, à la Maîtrise des Eaux et
Forêts, au Grenier à sel, à la Prévôté, à la Juridiction
consulaire. La noix de galle coulait à pleins bords de
tous les antres de la chicane.
Jamais clerc plus réjoui n'accomplit plus noire besogne.
Bien des fois, il est vrai, les rôles grossoyés par le baso-
chien s'étaient signalés par d'étranges formules. Rien de
pareil ne se rencontrait dans le Corpus juris civilisy dans
les compilations des Pandectes ou du Digeste, dans la
doctrine des Institutes. Le latin de Justinien n'était sans
AMABLE FAUCON 9
doute que du latin de la décadence, mais que dire du dia-
lecte d'Amable Faucon ? La dernière requête par lui pré-
sentée à M. le président d'Avaux contenait le passage
suivant, égaré par mégarde au milieu du grimoire :
Vivo la liberta !
N'agueis pas pau qu'yo m'engage ;
Un countra de mariage
N'en dauta la meita.
Le veire et la bouteillo
La retenon par quoque jour !
Ma s'engagea bey no figlio
Qu'où ei la perdra par toujours.
C'était la langue de son enfance qui inconsciemment
remontait au cœur du gamin de la Bade, en flocons
bleus de souvenances, cadencée comme un chant du pre-
mier âge.
Le procureur congédia son trop fantaisiste rédacteur de
requêtes, mais le président d'Avaux le prit sous sa protec-
tion et, par sa recommandation auprès de Mgr de Chaze-
rat, Intendant de la province, il le fit admettre en qualité
de conducteur des chemins dans le corps royal des Ponts
et chaussées.
Sur ces entrefaites Faucon perdit sa mère, fit la con-
naissance d'une jolie fille, originaire de Lyon, nommée
Jeanne Jacquet, l'épousa malgré l'imprudente profession
de foi de la requête, malgré aussi l'opposition de ses
proches et... en eut beaucoup d'enfants (i).
(i) Il en eut d'autant plus qu'il avait un peu anticipé sur les noces. Par
son mariage, célébré le 4 novembre 1754, il légitima sa première fille
Gilberte. Puis il eut successivement, d'année en année, 5 autres rejetons ;
Jeanne en 1 755, Julien en 17.56, Jean-Charles en 1757, Amable en 1759
et Louis- Amable en 1760,
On sait que, vers le milieu de la seconde moitié du
XVIIIo siècle, le mouvement littéraire et scientifique en-
traîna dans un remous d'idées, de recherches et de décou-
vertes les esprits curieux et éclairés de la France entière.
Le savoir était à l'ordre du jour. L'astre encyclopédique
attirait tout dans son orbite. Le tiers-état préludait par
la culture intellectuelle à sa prochaine émancipation
politique.
Comme tous les ciels de province le ciel riomois était
constellé d'étoiles de moyenne grandeur.
J'ai crayonné ailleurs (i) la silhouette des petits grands
hommes de la grande petite ville à cette date, et je dois
m'abstenir de revenir sur ces portraits, car le croquis
actuel n'a pour objectif qu'un simple comparse, un figu-
rant de second ordre sur un théâtre minuscule. Tout au
plus dois-je rappeler le nom des principaux personnages
de la galerie, dans un des médaillons de laquelle se pré-
lasse notre aimable Faucon qui, sur le tard, gagné sans
doute par l'épidémie ambiante, avait senti la muse remuer
en lui des hémistiches longtemps contenus.
(i) Romme-le-Montagnard : Un conventionnel du Puy-de-Dôme. In-8°,
.Rioui, Leboyer, i883.
AMABLE FAUCON I I
Cette phalange comptait dans ses rangs :' le mystique
Boirat, docteur en théologie, correspondant de l'Acadé-
mie royale de médecine, qui communiquait à Vicq-d'Azir
sa philanthropie en mémoires et à ses amis sa religiosité
en préceptes ; — l'enthousiaste, l'emphatique Beaulaton,
transféré de sa chaire d'humanités dans une des stalles
de la Sainte-Chapelle, qui rimait sa traduction pompeuse
du Paradis perdu de Milton ; — Beaulieu, le futur colla-
borateur à la Biographie universelle, dont la plume acérée
de journaliste devait plus tard l'exposer à la proscription
et à la mort ; — Ordinaire, le chanoine de Saint-Amable,
qui retraçait Y Etat ancien de la Limagne relativement à
son histoire naturelle ; — Delarbre, le naturaliste, qui
fouillait les volcans et les mines de la contrée pour grou-
per les éléments de ses travaux sur la Nature des basaltes
en boule et sur la Formation des fers spéculaires ; — l'ar-
chitecte Richier, qui traçait les grandes lignes d'un travail
de Nivellement et de dessèchement des marais d'Auvergne,
avant d'aborder les grandes conceptions propres à perpé-
tuer sa mémoire ; — le sombre et austère Gilbert Romme,
plongé dans les théories transcendantes de Newton, aussi
fanatique des sciences exactes qu'il devait l'être avant peu
des principes révolutionnaires de la Montagne ; — le bril-
lant Soubrany, prêt à rejoindre, en qualité d'officier, son
régiment de Royal-dragons, mais marqué comme Romme
pour l'immolation ; — enfin le lymphatique Démichel,
transfuge de la Compagnie de l'Oratoire, descendant,
faute d'énergie, la pente sociale, et bien surpris si l'avenir
lui eût dévoilé qu'avant cinq ans il irait sur les glaces de
la Neva servir à'outchitel au fils d'un grand seigneur, le
baron de Strogonoff.
Ce cercle intime et autochthone avait choisi pour Athénée
le terrain neutre de la poste aux lettres, dont Gabriel
Dubreuil était le directeur. Dubreuil, chétif et malingre^
12 AMABLE FAUCON
n'avait pu continuer son service au bataillon du Biaisois,
où cependant sa belle chevelure descendant jusqu'aux
reins, la plus belle de la compagnie, lui avait valu les galons
de sergent. Sans posséder une spécialité bien marquée en
aucun genre, son esprit était apte aux connaissances les
plus diverses. Il s'occupait de mœurs, d'histoire, de voya-
ges, de géographie, savait et écrivait beaucoup. Il formait,
lui sédentaire, le trait d'union entre les membres du petit
cénacle dont il relia longtemps les tronçons épars par une
correspondance curieuse et infatigable. Il devint pour les
dispersés le fil conducteur qui établit le courant des âmes,
prévient l'oubli et rattache les cœurs au cœur de la patrie
absente.
Certaines notabilités du patriciat local et de la haute
magistrature ne dédaignaient pas de paraître parfois à ces
réunions fondées sur la confraternité du labeur et de l'in-
telligence, où la bienveillance sans morgue et la déférence
sans bassesse donnaient un admirable exemple de l'égalité
bien entendue. On y voyait le président Rollet d'Avaux,
un des beaux noms du martyrologe révolutionnaire, qui
se délassait de ses fonctions judiciaires dans l'étude atta-
chante de la numismatique ; — Dutour de Salvert, physi-
cien éméiïte, et son fils, botaniste distingué ; — Chabrol,
dont le commentaire sur la Coutume avait illustré le nom
et qui allait prochainement siéger au Conseil d'Etat ; —
Barbât du Clozel, seigneur d'Arneri, qui venait de publier
Les Plaidoyers et les poèmes de Libanius, traduits de
Tacite.
Dans ce milieu disparate où se confondaient, en une
touchante et sereine promiscuité, l'âge, le rang et la for-
tune, la note joyeuse était donnée par le bon, par l'in-
comparable Faucon.
De celui-là le temps semblait frôler la vie sans y laisser
|a moindre ride. Il avait dépassé la cinquantaine et toujours
AMABI.E FAUCON l3
vif, alerte, plein de sève et d'entrain, d'une élocution
pétulante et abondante, d'une gaîté intarissable mêlée
d'un grain de malice, il allait versifiant à force, comme
pour rattraper les heures perdues, laissant échapper de sa
bouche lippue la plaisanterie grivoise et le rire sonore.
Il était apprécié de ses chefs, dont la faveur lui avait
valu le poste de conducteur principal. Il était adoré des
paysans auxquels il faisait faire ce qu'il voulait en les
amusant et en se familiarisant avec eux.
Mais que de fois la précarité de ses ressources et l'ac-
croissement de ses charges l'avaient mis aux prises avec la
misère ! Son fils aîné, parti en mer, ne donnait plus de
ses nouvelles, ce qui faisait craindre qu'il eût cessé de
figurer au nombre des vivants ; son cadet végétait sans
place à Paris, et l'on augurait mal de son avenir ; son
boiteux venait d'être nommé vicaire à Charbonnières-les-
Varennes ; un quatrième avait déserté l'abbaye de Saint-
Martin à la suite de certains froissements, et courait le
cachet à Passy, chez un maître d'école et chez le marquis
de Maubec. Ses deux filles n'étaient pas encore mariées.
N'y avait-il pas là bien des sujets de tribulation ?
Néanmoins le bonhomme restait le même, inconséquent
et sans jugement, babillant et gouaillant, sans inquiétude
pour le présent, sans préoccupation pour le futur, satis-
fait de vivre du jour à la journée et ne s'embarrassant pas
du lendemain.
Comment lui eût-on tenu rigueur de cette déraison in-
consciente, traversée d'éclairs de bon sens, en face de l'ex-
cellence de son cœur ? Boirat venait d'être gravement
malade, et le rieur incorrigible s'était aussitôt installé à
son chevet comme une sœur de charité. Il ne l'avait pas
quitté un instant, le changeant, le transportant lui-même
d'un lit à l'autre, l'entourant des soins les plus assidus et
les plus dévoués. Il eût agi de même pour tous ceux qui
lui étaient chers.
14 AMABLE FAUCON
Aussi Paccueillait-on toujours avec une cordiale sympa-
thie quand il apportait au cénacle ses feuilles volantes
écrites le long des chemins, ses bluettes dont l'atticisme
était constellé de gauloiseries au gros sel. Le Couchir dau
panure Peire, les stances sur Un dragon qui méprisait l'in-
fanterie, l'évocation Au doit \eu de sa gento eugitio, ses
chansonnettes faisaient les délices de la ville entière ; on
se les passait de main en main, de salon en salon.
Le charmant Conte des Perdrix obtint un franc succès
d'hilarité et conquit tous les suffrages.
Ce conte, imité du licencieux abbé Grécourt et rapporté
dans le Mercure de France, avait paru à notre bon Amable
devoir faire bonne figure sous la jupe brayaude et la casa-
que du paysan limagnien.
Il s'agit, comme on sait, d'une villageoise aussi futée
que gourmande, qui ne peut résister à la tentation de
croquer à petits coups deux perdrix rissolantes dont son
mari médite de se pourlécher le soir en compagnie de son
curé. Le péché commis, comment se soustraire à la péni-
tence ? Par bonheur le curé est galant. Quand il veut luti-
ner la matoise, celle-ci lui révèle que son homme sait tout,
qu'il ne l'a invité que pour lui tendre un piège et qu'il se
AMABLE FAUCON *5
propose au dessert de lui couper les deux oreilles. Le curé
fuit à toutes jambes. Sur un mot de sa ménagère, le mari,
furieux du rapt de ses perdrix, s'élance à sa... à leur pour-
suite. — Je les rattraperai toutes les deux. —7 Le pasteur
qui ne pense qu'à ses oreilles court de plus belle. — Don-
nez m'en au moins une, clame le villageois ! — Oh que
nenni. — Et le quiproquo se prolonge. La nuit venue, la
luronne trouve aisément le moyen d'obtenir son pardon.
Ravissante est la transformation patoise de cette drôlerie
dont Malintrat devient le théâtre et qui gagne à cette
transformation une saveur pastorale des plus piquantes.
Le récit, lestement troussé, est émaillé d'heureuses trou-
vailles et de jolis détails.
Jacqueline fait les préparatifs du repas :
Dins le moins d'un moumant soun fio fuguet luma.
Que ne tayet-oun pas per recebre un cura ?
L'embroucho le bétiau, se boutt' à le virer
Aprez l'i avoi boutu dos lard per l'aingraisser.
Lo fio zérot violent et lo gibier goutavo,
En bei sos deis lechoux souvent lia le tatavo.
Mais les convives n'arrivent pas et le rôti embaume. La
salive lui en vient aux lèvres ; elle résiste, la brave Jacque-
line. Il y a là, sur le bord de la broche, une peau bien
grillotée qui se détache, une peau si appétissante :
Jacquelino la trapo, l'aval-en un moumant --
Tout autro en même cas n'auriyo be fait autant ! —
— Ha ! moun Dieu ! qu'a quouest bou, qu'on zost un goût parfait !
Jamais yo me tendrai den manger un mourcet.
D'uno lia pre la poto, la tiro un pau fort,
La queusse la seguet sens faire grand effort,
Lia tate enquiera (1), peu tat-un autre quot,
A force de tater lia chabo le fricot !
Cependant le remords la gagne, la crainte aussi. Com-
baud est si brutal que, dans le premier mouvement, il est
(1) Encore.
i6
AMABLE FAUCON
bien capable de « faire vouler soun amo dins los cheux. »
Alors elle se lamente :
Paubre ! Que farai yo ? Hélas, de yo qu'ouest fait !
Jargeuso que te sais ! qu'ouest toun darré mourcet !
La mouèro dos humains fuguet b'un pau gourmando
Mas jamais tant que yo l'ia ne fuguet friando !
Sur ces entrefaites arrive le curé.
Soun proumei soin fuguet d'embrasser Jacquelino.
Elle lui fait la confidence des cruels projets de son hôte:
Hélas, notre pasteur, yo z'ai un grand chagrin ;
Moun homme soubre vous z'ost de mauvàs desseins,
Qu'où n'est pas tems de rire
Sauvas vous, crege me ; ce qu'ouest de jalouzio
Que prêtent vous couper et l'une et l'autr' orillo.
Vega le dins la cour, setià soubr'un souquet,
Que desoubre sa mau essuyo soun cotet.
Le curé ne se le fait pas dire deux fois. Il prend la clet
des champs et trotte, trotte vers son presbytère.
Alors Jacqueline de s'époumonner avec effarement :
— Coumbau, moun bon amy, s'eicredoit Jacquelino,
Notre brave cura z'ost vouaidu lo cugino.
A m'o dit que che se a l'ayot dos amis
Qu'eiroun mieux fait que te per manger las padris !
Stupéfaction du paysan que la colère aveugle. La pour-
suite commence et nous laissons la parole à l'auteur :
Coumbaud coumm' un furieux enfiallo le chamy
Soun cotet a la mau ; fugio tant qu'un maty.
Le cura tems en tems gardiavo darrei se
Et redoublo de pau quand Coumbaud le parse !
« Fripou, vouleus, larroux, cura de Malintrà,
Touta douas las aurai, quand dioy-être eicourcha ! »
Le cura per bounheur fugio de bounno sorto,
A gaigno soun chez se, et peu sarro sa porto.
A ne se fiavo pas a sos chimpleis varroux
A boutet per darré trois ou quatre satoux ;
AMABLE FAUCON 17
Peu per soun eichaleis a grimpct au pus vite
Et dedins soun greneix a vai chercher un gitte ;
Se sarro per darrés et peu bad' un voule
Per voire chi Coumbaux eirot davant chez se.
A le veguet d'en bas que ressemblav' un fo
Que vouliot enfouncer la porte embei soun thio !
— Que voulais tu de yo, couqui, eiffoulerà
Le pus fameux couqui que chot dins Malintrà ?
— Ce qu'yo voule de te, las voule toutas douas;
Ou au proumei rencountre, yo te thiue dins las rouas.
— Te n'auras pas do tout, le sais un malheiroux,
Que sens aucuno fauto te fara pendre un jour !
— Hé be coumposens dount, baillo m'en do moins uno,
Ou yo casse ta porto, car le diable me meno ;
Chitot Coumbaud s'eitach' après les pourtaloux,
Tout tremblav' a la quot, et saloux et varroux !
Le boun cura credavo : « Boun Dieu ! fachey marvillas !
Saint Jaque, moun patroun, sauvas me mas orillas ! »
Quelques détails un peu gras, dans le goût du frère Jean
des Entomeurs, terminent la scène.
On comprend les « galéjades » que provoquaient dans le
public riomois ces facéties auvergnates.
Or ce n'était rien que de les lire, il fallait entendre
Faucon les réciter lui même avec l'accent du faubourg et
son expressive mimique. Tout en lui s'agitait alors. Ses
grandes oreilles, son nez de perroquet, ses yeux pétillants,
ses bras démesurés formaient un accompagnement au
débit, quelque chose comme un orchestre de chapeau
chinois. C'était à perdre contenance et à dérider les plus
rébarbatifs.
Les pièces fugitives que nous venons de citer n'étaient
que le prélude de travaux de plus longue haleine. Leur
succès tenait moins, cela n'est pas douteux, à l'originalité
de leur conception qu'à l'emploi du dialecte limagnien
qui donnait à leur facture le fumet de terroir particulière-
ment apprécié par les gourmets du cru.
Dans un récent discours aux enfants des écoles laïques,
M. le dr Girard, député de Riom, exprimait le regret que
l'on ne parlât presque plus le patois du pays, qu'on l'écrivit
moins encore et que l'on délaissât avec mépris cet idiome
de nos pères.
« Regardez plutôt, disait-il, les Provençaux; ils se sont
« toujours doutés qu'ils avaient une langue; en attendant
« ils la parlaient ; depuis ils ont fait mieux, ils en sont
« devenus fiers. Avant l'auteur de Mireille, les Aubanel,
« les Roumanille ont publié dans leur idiome des can-
« zones harmonieux et sonores. »
Et l'humoristique orateur avait cent fois raison, car
nos patois provinciaux, monnaie frappée par chaque petit
peuple, à sa guise, pour son usage, et qui n'a pas cours
ailleurs, révèlent admirablement par leurs vocables, leurs
termes, leurs inflexions, leurs désinences, leurs contrac-
tions, les habitudes, les mœurs, les impressions, les cou-
tumes locales, le génie propre d'une contrée, les tendan-
ces de son esprit et jusqu'aux caprices de ses organes. La
Convention Nationale a trop réussi dans son œuvre d'unifi-
cation du langage, et l'on comprend les efforts tentés par
le Ministère de l'Instruction publique pour réunir un
AMABLE FAUCON 19
corps de patois nationaux, dans lequel la langue fran-
çaise trouverait à s'enrichir de nombreux mots qui lui
manquent.
Le patois d'Auvergne n'a pas, sans doute, la mélodie
fortement accentuée du provençal, sa plénitude de sons,
sa richesse de formes, son coloris de voyelles. Mais il
n'en possède pas moins un cachet personnel, une origina-
lité d'allure, une forme pittoresque qui lui impriment la
consécration linguistique et lui donnent le droit d'avoir ses
écrivains et sa littérature. Le contraste entre les deux idio-
mes n'aboutit qu'à faire ressortir davantage les particulari-
tés saillantes qui les distinguent; il accentue les reliefs sans
nuire aux beautés caractéristiques qui leur servent d'apa-
nage. Tel le biniou des montagnes n'est pas amoindri par
la sentimentale mandoline ; telle la bourrée ne perd rien
des grâces de son rythme posément cadencé aux vertigi-
neux contours de la farandole barbentanaise.
Le patois limagnien n'est-il pas, d'ailleurs, comme le
provençal, un dérivé du dialecte roman, ce patois-mère
répandu dans tout le Midi, de l'Auvergne et du Limousin
aux rives méditerranéennes et aux crêtes espagnoles, trans-
figuré sur plusieurs points de son vaste domaine, mais
issu d'une même origine latine, grecque et germaine ?
Si le patois d'Auvergne n'a pas conservé sa fixité primi-
tive, s'il s'est montré rétif à la coordination de la gram-
maire et du dictionnaire, il faut ea attribuer la cause à ce
que, posé à la limite de la langue d'oc, il a subi les alté-
rations du voisinage et contracté, au contact des frontiè-
res, une variabilité qui en a différencié la prononciation
et même les termes de commune à commune, de village
à village.
Peut-être aussi cela tient-il à ce que ses fidèles, ses chan-
tres et ses troubadours n'ont pas su donner à leurs œu-
20 AMABLE FAUCON
vres le reflet poétique qui a auréolé le front des Goudouly,
des Despourins, des Jasmin, des Mistral, des Aubanel et
des Roumanille.
Rares, du reste, et lointainement disséminés d'âge en
âge, furent les mainteneurs du félibrige arverne. A peine
pourrions-nous citer, parmi ceux dont les productions
échappèrent à l'indifférence populaire : Me Pezant de la
Bantusse, lieutenant-général de la Prévôté de Clermont,
naïf auteur des Noù'ls ou Chants pastoraîs des bergers
d'Auvergne, dont il présenta le recueil au roi Charles IX,
lors du voyage de ce prince dans le centre de la France en
i566 ; — Nicolas du Bourg, châtelain de Villars, puis
successivement curé de Latour et de Cébazat, à qui ses
compositions patoises valurent une réelle célébrité vers la
fin du XVIe siècle ; — les deux irères Joseph et Gabriel
Pasturel, l'un chanoine de Montferrand, l'autre avocat au
Parlement, qui rimèrent en vers paysans une série de
poèmes, de chansons et d'épigrammes, tandis que, dans
une cellule de son couvent des Carmes, le troisième frère
s'adonnait à la poésie grecque et latine ; — François Per-
drix qui dédia, en 1692, au Président de la Cour des Ai-
des de Clermont, une épître auvergnate sur la Terrasse
et le Rempart de la porte Champet ; — enfin Pellissier,
communaliste de l'église St-Jean, d'Ambert, qui traduisit
en langue patoise, vers 170b, les Psaumes de la Péni-
tence (1).
Comme on le voit, le champ restait un peu en friche au
moment où Faucon s'avisa de faire parler la muse en un
style moins académique que celui qu'adoptaient dans le
môme temps ses compatriotes Danchet, Champfort et
Delille. Au semeur à le féconder.
(1) Au XIXe siècle, M. Roy, de Gclles, a très heureusement continué la
série des poètes patois auvergnats.
AMABLE FAUCON 21
Le semeur, cette fois encore, manquait de la flamme
céleste, de l'inspiration qui jaillit brûlante, de l'idée
créatrice, du jejie sais quoi qui divinise la pensée et la
diamante de ciselures et de facettes. Mais il avait l'assimi-
lation prompte, l'imitation heureuse, le trait facile, l'ima-
gination souple, la verve intermittente et le don d'accom-
moder à la sauce relevée des reliefs un peu défraîchis et
éventés. Déplus, il possédait un grain de communicative
folie:
« Quand yo voulc rimer, yo perde la razou. »
C'en était assez pour lui conquérir le rang de Capoulié
parmi les adeptes de la gaie science au beau pays d'Au-
vergne, et pour lui permettre de cueillir dans le jardin
des jeux floraux la rose.... de St-Flour.
*
* *
Les qualités et les défauts que nous venons de signaler
chez Amable Faucon devaient lui faire adopter en littéra-
ture un genre qui cadrait avec son talent, le genre bur-
lesque.
Parodier les temps, les lieux et les mœurs, se moquer
doucement de son lecteur et de son sujet, transformer des
caractères et des sentiments nobles en figures et en pas-
22 AMABLE FAUCON
sions vulgaires, n'était-ce pas, en effet, une mascarde de
carnaval, une parade de théâtre rentrant à merveille dans
les tendances d'un esprit badin adonné au culte de htdicrâ
dictione ?
Ce genre burlesque, le moins relevé de tous, qui ne sau-
rait donner ni nourriture ni nerf à l'intelligence, qui pro-
duit plus d'ivraie que de grain, plus de chardons que de
roses, avait été un moment tellement à la mode en France
qu'on en était venu à mettre la Passion de Notre-Seigneur
envers burlesques. D'Assoucy, Scarron et ses deux acolytes,
St-Amand et Colletet, s'en étaient proclamés les grands
maîtres. Des écrivains de mérite s'y fourvoyaient. L'hôtel
Rambouillet lui même s'en était régalé, ce qui surprend
moins quand on songe que la future Mrae de Maintenon,
femme aux sens froids et au grand sens, avait passé une
partie de sa jeunesse à transcrire des bouffonneries.
Grâce au triomphe du bon goût, aux objurgations de
l'Académie Française et aux anathèmes fulminés par Boi-
leau, le travestissement littéraire avait enfin perdu la fa-
veur publique et n'apparaissait plus qu'à de rares inter-
valles à la vitrine des libraires. La rareté lui donnait alors
un regain de vogue momentanée.
De môme que d'Assoucy avait travesti Ovide et Clau-
dien; que Brébœuf avait travesti la Pharsaleyàe. Lucain ;
Scarron, puis Perrault, V Enéide ; de Jonquières, le Télé-
maque ; Benserade, Ovide et Esope ; de môme Faucon eut
l'idée de parodier la Henriade, de Voltaire.
Parodier ! Je me trompe, car j'ai déjà dit que le poète
agent-voyer était plus imitateur qu'initiateur ; il eut l'idée
de traduire en vers auvergnats la Henriade déjà travestie
par Marivaux.
Avait-il choisi Marivaux comme modèle parce que Mari-
vaux était né à Riom où son père avait occupé les fonctions
de juge-garde en la Monnaie ? Je ne sais. En tout cas, il
AMABLE FAUCON
23
s'aventurait un peu ; car si Marivaux avait, au début de sa
carrière, parodié Y Iliade et môme Don Quichotte, il n'avait
jamais formellement reconnu la paternité du travestisse-
ment de la Henriade, qu'on lui attribuait peut-être à tort.
Quoi qu'il en soit, Faucon se mit à l'œuvre et s'aida,
pour parachever son pastiche, d'un autre travestissement
qui avait paru en 1743 sous la signature de Fougeret de
Montbron.
Nous ne tenterons pas d'analyser cette pasquinade, qui
se prolonge durant près de 4.000 vers divisés en dix
chants. On chercherait vainement dans un pareil travail
de quoi racheter la pauvreté du genre et soulever l'admi-
ration de la postérité.
Par lui-même, on le sait, le poème de la Ligue, enfant
précoce du philosophe de Ferney, premier-né dont le
petit fils d'Henri IV refusa le parrainage, n'est pas marqué
du sceau de ce génie qui imposa plus tard son ascendant
sur la société contemporaine. Le plan en est faible, l'action
languissante, l'allégorie froide et sèche, les épisodes inco-
hérents. Ce qui le relève, c'est un admirable élan de géné-
rosité juvénile où respirent l'amour de la patrie, le senti-
ment de la justice et la haine de l'intolérance qui opprime
la conscience humaine sous le masque de la religion.
Or, l'action délétère de la parodie a justement pour
conséquence de couvrir ces beautés morales d'un badi-
geon trivial qui les déforme et les déprime. La seule obli-
gation qui lui incombe est d'opérer de telle sorte que la
ressemblance subsiste sous le déguisement et que les rap-
ports demeurent sensibles sous les contrastes.
Cette règle, Faucon l'observe avec une ingéniosité cons-
tante, et sa caricature est toujours assez transparente pour
laisser deviner le portrait. Des fusées de saillies éclatent au
milieu de curieuses métaphores, et l'on est surpris du
discernement et du doigté avec lesquels il tourne et re-
24 AMABLE FAUCON
tourne les ridicules. L'ambassade du Béarnais en carabas
et en paquebot, son séjour chez l'ermite de Jersey, son
entrevue avec Elisabeth d'Angleterre, le croquis de Cathe-
rine de Médicis, les péripéties delà St-Barthélemy, la Dis-
corde qui vole au Vatican la chasuble du Pape, le trépas
de Guise et de Valois, la visite d'Henri de Navarre aux
Enfers et au Paradis sous la conduite de St Louis, la des-
cription de l'île de Cythère où règne Cupidon.... sont
autant de jolis épisodes où le poète a égrené à pleines
mains les perles de sa gaîté bouffonne.
Tout cela donne aux nerfs de fortes secousses et désopile
la rate. Seulement, il ne faut en user qu'à petites doses. La
drôlerie tintamaresque lasse assez vite; l'estomac la digère
mal. A la longue, ce n'est plus le sujet mais l'auteur qui
devient burlesque.
La Henriade de Faucon a été publiée à Riom, en 1798,
en un recueil in-16 de i74pages, comprenant, à la suite
de ce poëme : le Conte des Perdrix, le Quatrième livre de
l'Enéide, travesti en auvergnat, le Couchir dau paubre
peire, 5 chansons et Y Homme couten.
Bouillet, parlant de ce recueil, dans son Album auver-
gnat, exprime la pensée que cette dernière pièce ne doit
pas être d'Amable Faucon. Je veux bien le croire, et fran-
chement Bouillet eût pu se montrer plus affirmatif sans
craindre de se compromettre, car le poëme porte en titre
et en toutes lettres: L'Homme counten var Monsieur Joseph
Pasturel.
Mais il y a lieu d'ajouter que le quatrième livre de YE-
néide ne saurait non plus être attribué à l'auteur riomois.
Bien qu'aucune mention spéciale ne renseigne sur la pro-
venance de cet important travail, la chose ne saurait faire
un doute pour quiconque lit avec attention. Il y a entre
l'idiome de la Henriade et celui de Y Enéide la différence
AMABLE FAUCON
25
qui existe entre le dialecte dorien et le dialecte ionien. La
parodie patoise des amours de Didon doit être égale-
ment celle que le même Joseph Pasturel écrivit, d'après
le travestissement de Scarron, à l'époque où le genre bur-
lesque battait son plein.
Qui n'a pas, d'ailleurs, aux XVIIe et XVIÏI* siècles, un
peu traduit, imité ou travesti Virgile? Pour nous en tenir
à la seule période durant laquelle Faucon patoisa, aux
seuls producteurs Auvergnats, aux seuls Auvergnats qui
gravirent le Parnasse, aux seuls Parnassiens qui firent gé-
mir la presse, nous ne citerons que V Enéide de Pierre
Verny, poète riomois, et celle de l'immortel Delille.
La gloire de notre joyeux héros n'a rien à gagner à ce
que nous révélions au public qu'il tenta à maintes repri-
ses de rimer en français.
« Ne forçons point notre talent » recommandait La
Fontaine ; « Soyez plutôt maçon », ajoutait Boileau, mais
Boileau avait tant médit des poètes badins que Faucon
répugna sans doute à suivre ses préceptes. Il eut tort, car,
si ses poésies patoises permettent de lui assigner une
toute petite place, bien humble, dans la littérature frai?*
20 AMABLE FAUCON
çaise, ses distiques français n'autorisent guère à le consi-
dérer que comme un poète patois.
Pas un trait à retenir de ses Stances burlesques contre
un dragon qui méprisait l'infanterie. Le morceau n'offre
rien de stanciel, de substanciel, ni même de burlesque.
Que dire du Portrait d'après nature de l'homme sans
pareil? Et ne serait-ce pas une cruauté que de s'approprier
le jugement qu'en portait l'auteur lui-même dans la lettre
d'envoi par laquelle il l'adressait à Paris, à son ami
Richier ?
J'ai changé de façon, j'ai laissé le rustique";
C'est du français, ami, que j'ai mis en pratique.
Garde-toi de montrer cet ouvrage à quelqu'un...
Relègue cette pièce au fond de la poussière
Ne me paraissant pas digne de la lumière.
Légendaire modestie du poète qui pense de son œuvre
autant de bien qu'il en dit de mal et qui s'humilie pudi-
quement dans l'espoir d'être démenti !
Le Portrait en question n'était autre chose que la satire
peu mordante de certaine notabilité de clocher, satire
pleine de sel peut-être pour les familiers de l'entourage,
mais parfaitement insapide pour les non initiés. Faucon
l'avait composé pour payer son écot aux réjouissances
projetées par ses compatriotes à l'occasion du retour à
Riom de réminent architecte :
Chacun d'eux s'empressait à te faire grand' fête ;
C'était à qui mieux mieux tiendrait la soupe prête.
Pour moi, qui par malheur n'abonde pas en plats,
Ne pouvant te servir de mets bien délicats,...
Mon esprit s'occupait à faire la peinture
D'un vieux barbon qui croit être une miniature.
Soyons juste d'ailleurs. Quelque favorable opinion
que Faucon ressentit intimement de son chef-d'œuvre, il
AMABLE FAUCON 27
avait conscience que Racine et Corneille lui faisaient du
tort à la comparaison :
Si j'osais approcher de trop près d'Apollon,
Pégase pourrait bien nie mettre à la raison ;
Je craindrais d'attraper de lui quelque ruade...
L'épître dédicatoire à laquelle nous empruntons ces
extraits, plus lestement troussée, ma foi, que le poème
auquel elle sert d'introduction, est signée :
« L'oiseau qui divertit le prince et le seigneur. »
J'éprouve un tardif remords d'avoir risqué par une
critique, même bénigne, d'affliger la mémoire de l'aimable
Amable qui, de sa vie, ne causa de la peine à personne.
Aussi, en témoignage de repentance, me décidai-je à livrer
aux trompettes de la publicité une de ses élucubrations
poétiques françaises, ce que n'osa faire aucun de ses con-
temporains.
Un sieur Clédières, ex-chirurgien à Vertaizon, devenu
professeur de physico-mathématiques à Clermont, préten-
dait avoir découvert le problème, encore à résoudre, de la
direction des ballons. Il projetait d'étonner l'Auvergne et
la France par ses tentatives aéronautiques, mais pour cela
il lui fallait beaucoup d'argent. Il en demandait à toute
la terre par un prospectus pompeux, détaillé comme une
note d'apothicaire.
Ce sont ces tentatives et ce prospectus fantaisistes qui
surexcitèrent la verve du peu crédule Faucon. Je cite la
pièce in-extenso. Que mes lecteurs ne voient pas là une
malice:
Des Montgolfier chantons la gloire !
Qu'ils soient consacrés dans l'histoire.
Que ces illustres physiciens,
Ces voyageurs aériens,
Soient payés de reconnaissance ;
Tous deux ont illustré la France.
28 AMABLE FAUCON
Que Pilâtre et son compagnon
Acronautes de renom,
Savants dignes de nos suffrages,
Soient admirés dans tous les âges !
Que Charles et Robert, son ami,
Puissent prétendre à notre appui.
Que notre bienfaisant monarque
De leur gloire élève une marque,
Et que toutes les nations
A jamais répètent leurs noms.
Mais que jamais dans leur carriole
Je ne fasse la cabriole ;
Que dans les airs, transi de froid,
Je ne m'y voie aucun emploi.
Quand la plus charmante déesse
M'attirerait par sa tendresse
Je préférerais dans ce cas
De devenir eunuque ras,
De servir la moindre des filles,
Dussé-je enfiler ses aiguilles,
Prendre le soin de son étui.
J'aurais là bien moins de souci ;
Je serais sous sa cheminée
Plus content que dans l'Empirée.
Traverse les airs qui voudra,
Jamais le goût ne m'en prendra.
Arrêtez, gens de la physique,
Il faut fermer votre boutique.
Le fameux Clédière à Clermont
Prétend effacer votre nom.
Ce citoyen, prudent et sage,
Vient d'enchérir sur votre ouvrage ;
Il a trouvé d'autres moyens,
Et, sans chercher tant d'ingrédients,
Il prétend guider sa machine
Depuis Clermont jusqu'à la Chine.
Il offre une souscription
Pour qu'on en paye la façon.
Tant pour l'enduit, tant pour la toile,
Plus le tissu propre à la voile,
Tant pour le fil ou gros, ou fin,
Tant pour filon, tant pour cabin,
Tant encor pour la galerie,
Pour le vin blanc, la malvoisie,
Plus pour diriger le ballon,
Plus pour la sangle ou le cordon,
Plus pour autres frais ou clystères
Pour rafraîchir le sieur Clédières ;
AMAPLE FAUCON 29
Le tout monte à Trois mil six cents.
Payez, les pauvres innocents,
Que votre facile croyance
En lui mette sa confiance.
Mais j'aperçois de l'embarras:
Il n'a rien compté pour le gaz.
11 cachera, je le devine,
Des procureurs dans sa machine.
Pour voler il n'est rien de mieux ;
Ce gaz le conduirait aux cieux.
Terminons ces citations d'essais poétiques par un mor-
ceau fort court qui exprime, en ce qui concerne les tréso-
riers de fabriques, une situation qui est restée commune
aux fabriciens de notre temps. C'est le compte financier
rendu par un marguiller d'honneur à Mgr l'évoque, lors
de sa tournée pastorale de 1785 :
Daignez, s'il vous plaît, Monseigneur,
Entendre un compte laconique :
Je suis le marguiller d'honneur
Exprès choisi par la fabrique.
Je n'ai rien reçu ni touché
Du revenu de notre église,
Mon collègue est ainsi logé,
Rien n'est entré dans sa valise.
Si par hasard Votre Grandeur
Voulait en prendre connaissance,
Notre respectable pasteur
Peut la donner avec aisance.
Lui seul a reçu tout l'argent
Et lui seul a fait la dépense;
Si sa bourse n'a rien dedans,
Honny soit celui qui mal pense.
Ce bagage me semble insuffisant pour obliger la posté-
rité à élever à notre poète une statue au milieu de celles
qui se dressent le long des spirales du bois sacré de
l'Hélicon.
Mais Dieu sait qu'Amable Faucon s'inquiétait bien peu
de la postérité. Pour lui la postérité c'était ses amis, ses
concitoyens, sa ville. Il les aimait et ne voulait pas en
30 AMABLE FAUCON
être oublié. Il leur imposait son riant souvenir jusque sur
les plages les plus lointaines.
Dans une lettre écrite le 3 févier 1784 par Dubreuil à
Gilbert Romme, alors transplanté, ainsi que Démichel, au
sein de l'empire de Catherine-le-Grand, nous trouvons le
passage suivant :
« Pour vous prouver le désir de vous être bon à quelque
« chose, Faucon a copié toutes ses poésies françaises et
« auvergnates et en a fait un cahier à votre intention.
<k Cet ouvrage lui a donné de la peine à terminer, à cause
« de sa longueur d'une part et parce que chaque pièce
« était éparpillée. Mais que n'aurait-il pas fait pour vous
« complaire, pour complaire à Démichel et à moi qu'il
« appelle son dégraissé ?
a C'est un homme d'une gaîté singulière, ayant de
« l'esprit, de l'intelligence et le cœur excellent. C'est bien
« à lui que je dois votre connaissance, et par là il m'est
a précieux. Il m'a procuré celle de M. du Caria.... Il a
« voulu absolument vous faire, et à l'ami Démichel, le
« cadeau de paires de gants de lapin, jointes à une pièce
« de vers de sa façon. »
Et en effet, le bon Amable adresse en Russie la collec-
tion de ses œuvres, en la faisant précéder d'une apostille
qu'il intitule : Préface, postface, tout ce que l'on voudra,
et qui contient, au milieu de plaisanteries un peu risquées,
l'ex-dono que voici :
J'ai reçu cette année du pays d'Angola
Des gants qu'avait filés la fameuse Ringa(i).
Ils étaient destinés pour envoyer à Rome.
Comme dans ce pays je ne connais personne,
Je laisse à mon fourrier qui, dit-on, n'est pas lourd
Le soin de découvrir Romme dans Pétersbourg.
S'il peut y parvenir, Ringa veut qu'il partage ;
Que Romme et mon fourrier en fassent bon usage.
(1) Des gants en peau de lapin filés par Ringa! N'est-ce pas admirable?
AMABLE FAUCON 3l
De plus, le poème de la Henriade est souligné d'une
facétieuse dédicace :
L'Henriade de Marivaux
Mise par un poète nouveau,
De la race des Pastoureaux (i),
En un style des plus beaux,
Que j'adresse au brave Michaud (2)
Dans un pays qui n'est pas chaud.
Dieu conserve son artichaut !
Ce recueil laborieusement constitué par le poète, joyeu-
sement feuilleté par les deux ilotes riomois, à mille lieues
de leur patrie, religieusement conservé et rapporté par le
futur supplicié de prairial, est aujourd'hui entre nos
mains. Ce sont ses pages jaunies comme la feuille à
l'automne, fanées comme la fleur vieillie, fantomatiques
comme le spectre d'un revenant, qui nous ont inspiré la
pensée de faire revivre, après plus de cent ans écoulés,
la mémoire de celui qui les traça.
En réponse à l'envoi de ce manuscrit, Gilbert Romme,
rigide jusque dans ses moments d'abandon, réclama de
Faucon un vocabulaire en langue auvergnate pour pouvoir
comparer cet idiome aux diverses langues de l'Asie.
Je m'imagine que les rapports n'eussent pu être
qu'assez lointains.
En tous cas le vocabulaire ne fut pas composé.
(1) Les frères Joseph et Gabriel Pasturel.
(2) Démichel.
Les premiers mois de Tannée 1787 furent pour Faucon
des mois d'amertume. Les tracasseries s'appesantirent sur
sa tête, si imméritées, si lancinantes, que son imperturba-
ble gaîté s'émoussa et que sa muse cessa d'exhaler des ri-
res joyeux.
Le bonhomme remplissait ses fonctions de conducteur
des chemins avec honneur et probité ; il y apportait d'au-
tant plus de zèle qu'elles étaient son unique gagne-pain.
Tout le monde lui rendait justice, et des gratifications
avaient parfois récompensé l'exactitude de son service.
Or, le samedi 9 janvier, il fut mandé à Clermont par un
sous-Ingénieur qui lui apprit que sa place, depuis long-
temps convoitée, allait être donnée à un ancien laquais de
Mme de Montagnac, qui travaillait depuis deux ans dans la
partie avec un Inspecteur des Ponts et chaussées, et qui
était fortement appuyé auprès de M. Pitot, ingénieur de
la province.
Faucon se rendit immédiatement chez M. Pitot, dont
l'accueil fut glacial. Le chef signifia à son subordonné
qu'il était cassé de son poste, que ses appointements
ne couraient plus depuis le ier janvier, que d'ailleurs il
était vieux, ne pouvait plus travailler, et qu'enfin il ne
sapait rien, étant un ignorant. Vaines furent les doléances,
AMABLE FAUCON 33
les réfutations, les exclamations du pauvre sacrifié. Seuls
les secrétaires des bureaux de l'Intendance, de plusieurs
desquels il était connu, lui firent l'aumône d'un peu d'eau
bénite de cour.
On comprend l'anxiété ressentie par le malheureux fonc-
tionnaire inopinément voué à la misère. Les sympathies
s'émurent autour de lui, et ce fut à qui s'ingénierait à pré-
venir une aussi flagrante et cruelle injustice.
Dubreuil écrivit aussitôt à Romme (i3 février 1787) pour
le prier d'intéresser Mme la comtesse d'Harville à cette
affaire. Peut-être pourrait-elle agir par ses aboutissants
soit auprès de M. le contrôleur général de Calonne, soit
auprès de M. Chaumont de la Millière, intendant des
Ponts et chaussées, soit enfin auprès de M. Cadet de Cham-
bine, premier commis. Richier, de son côté, se mit en
campagne. Celui des fils de Faucon qui était précepteur
chez le marquis de Maubec battit tout Paris et finit par
déterrer quelque ami personnel de M. Pitot, du mauvais
vouloir duquel il importait surtout de triompher. M. Rol-
let d'Avaux revint exprès de Bourges, où il se trouvait,
pour solliciter l'intervention de M. l'intendant de Cha-
zerat, son parent.
Grâce au concours de toutes ces influences, le brave gar-
çon apprit enfin, au mois de mai, que sa place lui était
conservée.
Ce résultat rasséréna son front, mais un poids lui res-
tait sur le cœur : « Vous ne savez rien, étant un ignorant ! »
Le reproche l'avait flagellé ; il l'entendait encore résonner
à son oreille comme un tintement continu, obstiné, un vrai
cauchemar. A 63 ans, il se remit à l'étude, piochant sans
répit, s'escrimant au travail avec l'impétuosité de sa
nature exubérante et extrême.
On ne le rencontrait plus qu'avec une équerre, un ni-
veau, des jalons, une chaîne d'arpenteur à la main. Il ne
~4 AMABT.E FAUCON
parlait plus que de plans, de traces, de pentes et de cour-
bes, de pieds, d'arpents, de toises, de perches, de setérees,
d'émincés, de quartelées....
« Le bon Faucon, écrit Dubreuil (i), toujours gai, tou-
« jours content et toujours actif, est, dans ce moment,
« presque sans cesse par voie et par chemin. Sûrement il
« va devenir un grand ingénieur, car il ne vous aborde
« qu'en termes de l'art, connaît quelque peu de géométrie,
« veut en savoir davantage et pousser jusqu'à l'algèbre.
« Nous le badinons sur ses vastes connaissances, nous le
« faisons mettre en vivacité, même en colère, et puis nous
« l'apaisons par un éclat de rire. Nous élevons, nous ra-
ce baissons tour à tour la prédominance des Ponts et
a chaussées, nous inculpons les agents de friponnerie,
« même les conducteurs. Notre homme se fâche, crie, en-
ce tre en fureur, et nous le calmons par des éloges. »
Mais hélas ! l'éclaircie survenue dans le ciel de notre
ami Faucon ne fut pas de longue durée. Quand un arbre
est trop profondément sapé il ne résiste pas longtemps à
la tempête. Les jalousies avaient fait trêve un instant,
mais elles n'avaient pas désarmé. Alors qu'il nageait en
pleine sérénité, le conducteur principal fut brutalement
informé qu'une mise à la retraite d'office remplaçait à son
égard la révocation primitivement résolue.
Impossible de songera de nouvelles sollicitations, c'eût
été courir à de nouvelles humiliations et à de blessantes re-
buffades. Certaines démarches ne comportent pas de re-
commencement. C'était fini, bien fini.
Le coup fut rude pour le fonctionnaire éconduit. Son
humeur devint sombre ; on était parvenu à aigrir l'esprit
le moins susceptible de France. Des rêveries enfiellées han-
(i) 12 janvier 1788.
AMABLE FAUCON
35
taient son cerveau. Il ourdissait dans l'ombre une trame
ténébreuse et projetait de sinistres résolutions.
Ses plus intimes confidents se répétaient avec une stupé-
faction comique qu'il allait se lancer dans le journalisme
militant, faire de l'opposition au pouvoir, et publier avant
peu une feuille incendiaire destinée à étonner le inonde.
Et cette idée saugrenue n'était nullement l'expression
d'une boutade, la conception humoristique d'une imagina-
tion échauffée. C'était un projet bien arrêté, une réso-
lution spontanément germéc à l'ombre de ce nouvel arbre
de Cracovie.
Un temps avait été où le poète chantait et faisait chanter
ses plaisirs. Ce temps était passé pour ne plus revenir. La
girouette avait tourné. Aujourd'hui, la politique aux noirs
soucis, le gouvernement des peuples, les réformes sociales,
les préoccupations économiques absorbaient seules la pen-
sée de l'ex-disciple d'Apollon. Oh! Mable ! Mable! Quœ le
dementia capit ?
Dès 1788, on ne citait, dans toute l'Auvergne, le brave
Faucon que comme le rédacteur d'un Bulletin hebdoma-
daire, publié à Riom chez Martin Dégoutte, contenant les
nouvelles de l'étranger, du royaume, de la province et de
la ville. Il avait des correspondances, — il s'en vantait du
moins, — depuis Aurillac jusqu'à Cosne-sur-Loire. Les
abonnés affluaient ; l'apparition de chaque numéro piquait
la curiosité de ses amis, de ses concitoyens ; c'était à qui
serait servi le premier. Il tenait bureau d'esprit et jouait à
l'homme important.
Voici en quels termes Dubreuil faisait part aux amis ab-
sents de cette curieuse métamorphose (1) :
« Mable, l'homme étonnant, ne donne plus ses produc-
« tions que par souscription et il en a de plusieurs pro-
(1) i5 novembre 1787.
36 AMABLE FAUCON
« vinces. Sa réputation s'étend dans un rayon de 70
« lieues.
« Quand il sort de son cabinet, c'est à qui aura le plai-
« sir de l'entretenir. Il ne donne audience qu'à ceux qu'il
« veut honorer. Il est la lumière du pays. Entouré d'une
« foule de gagistes, il commande et on lui obéit avec révé-
« rence. Les courriers abondent, la poste y gagne.
« Il faut dire à sa louange que ses qualités transcendan-
ce tes n'ont rien changea son caractère. C'est toujours le
« même homme, le même cœur. Mais adieu la verve poé-
« tique. En travaillant au fameux Bulletin et en dictante
« 5 ou 6 copistes, jusqu'à l'orthographe, notre pauvre
« homme a perdu le goût des vers.
« Quel dommage qu'il ait à faire à des gens illétérés !
« Cela lui fait connaître, il est vrai, les élisions, les points,
« les virgules. On le critique bien un peu là-dessus, car
« ils sont généralement mal placés.... Mais un homme
« aussi intéressant, qui écrit sur des matières aussi impor-
« tantes, doit-il éprouver si impitoyablement la satire?...
« Je lui avais promis de vous parler de lui et de ses
« grands talents. Je m'en acquitte, comme vous le voyez...»
Romme et Démichel, qui voyageaient alors en Suisse,
furent consternés à la nouvelle d'une aussi téméraire en-
treprise.
Démichel, moins circonspect que son compagnon, sou-
vent inconsidéré dans ses propos, crut que les privilèges
de l'amitié l'autorisaient à jouer devant le héros du jour le
rôle de l'esclave romain rabaissant par des sarcasme la
gloire du triomphateur.
« L'ellébore, écrivit-il à Dubreuil, est-il déjà en fleur ?
« Notre pauvre Scio quia l'aurait-il foulé aux pieds dans
« ses promenades ? Voyez ce que c'est que de nous ! Ne
« me cachez rien de ce qui le concerne ; vous savez com-
AMABLE FAUCON
3?
« bien je m'intéresse à lui, et vous pouvez compter sur
« ma discrétion.
« Dites-moi, est-il bien fou? Sa folie est-elle douce ou
« tragique ? Faudra-t-il bientôt le lier ? Ne bat-il personne ?
« Si le caractère de sa démence est doux et tranquille, on
« pourrait, après quelques douches, le promener de ville
« en ville et le montrer comme une pièce rare et curieuse,
« ce qui procurerait de l'aisance à sa famille. Il aurait le
« plus grand succès à la foire de Beaucaire.... »
Quelques jours plus tard, seconde missive tout aussi
délicatement amicale :
« 11 faudra bien, y lit-on, parcourir cette production
« que vous m'annoncez et gémir sur le mauvais emploi
« que le pauvre diable fait du reste de talent que la nature
« lui a départi....
<k Mais voulez-vous que je crie Bravo ! parce qu'un petit
« gazetier qui prête le flanc à toutes les ironies a une cor-
« respondance à Aurillac et à Douzy ? parce qu'il dépose
« sur un papier de vieilles rapsodies, des contes décousus,
ce des faits tronqués, des réflexions hasardeuses, des pré-
ce dictions inventées six mois après l'événement ?
« J'écris bien à Aurillac , prétend-il, j'écris bien à
« Cosne ; j'instruis et j'éclaire non seulement mes conci-
« toyens mais encore les provinces voisines ! On est con-
« tent de mes articles.
« Cette phrase est un tissu de balivernes. Il n'écrit pas,
« il copie; au lieu de bien on peut dire mal. 11 ne produit
« rien, il réédite ce que l'on peut lire dans les mille et
« un journaux de l'Europe. On est content ! qui? Les for-
ce gérons de Cosne et les tanneurs d'Aurillac qui se sou-
« cient de sa prose comme du grand lama ? Quel dom-
<l mage que les monts du Forez et une portion du Jura
ce interceptent pour nous jusqu'au moindre rayon de cet
« astre éclatant ! Qu'il se garde de voir dans l'empressé-
38 AMABLE FAUCON
« ment de nos bons Riomois à se procurer ses feuilles le
« désir de rire à ses dépens !
« Toutefois, bien qu'il soit un mauvais poète comique,
« un stupide politique, un cracoviste fastidieux, un insi-
« pide conteur, je ne lui en reste pas moins sincèrement
« attaché.... »
Chaque lettre nouvelle du peu bienveillant Démichel
est un nouveau persiflage :
« Vous me déclarez, mon cher Dubreuil, que notre
« courriériste somnifère repousse mes traits d'audace et
« d'insulte et dédaigne les censures que lui attire l'envie 1
« Eh bien ! Je fais amende honorable, je baisse pavil-
« Ion. Je reconnais l'illustre Mable pour le poète le plus
« fou, le plus extravagant, le plus burlesque, le plus gro-
« tesque, le plus pittoresque des poètes présents, passés
« et futurs. Dites-lui que j'admire ses profondes connais-
« sances politiques ; qu'à mon sens, personne ne sait pé-
« nétrer plus avant que lui dans la pensée des monarques
« et de leurs ministres, des valets de chambre de ces mi-
« nistres, des maîtresses de ces valets de chambre, des gre-
« luchonsde ces maîtresses.
« Il peut d'un trait de plume soulever ou pacifier à son
« gré les empires : il peut chasser d'Europe les Ottomans,
« foudroyer le Grand-Seigneur, le Grand-Vizir, et tous
« les Bâchas à une, deux ou trois queues. Il peut faire
« renaître les beaux jours d'Athènes en faisant refleurir
« les arts. Je le vois revenant des Jeux olympiques, courbé
« sous le poids des lauriers... Son front noble et élevé est
« des plus propres à porter avec grâce la couronne four-
ce chue qu'il a si bien méritée et qu'il a fait porter à tant
« d'autres.... »
Ces diatribes étaient acerbes.
Romme se montrait autrement réservé dans son langage
et sa désapprobation n'en paraissait que plus mortifiante.
AMABLE FAUCON 3g
Amable en était hors des gonds. Il ne pouvait revenir
du peu de cas que l'on faisait de son journalisme impro-
visé, il tonnait en français et en patois. Ses bras battaient
l'air d'un mouvement assez conforme à celui des scieurs
de long : « Traiter aussi indignement un homme de let-
« très, le plaisanter à la face de tous ceux qui le connais-
(( sent, faire qu'on rie et qu'on le turlupine à droite et à
« gauche !...
« On me berne dans Genève, s'écriait-il ; ce sont certai-
« nement des gens qui n'ont aucune conscience de la poli-
ce tique, qui n'ont jamais été dignes de pénétrer dans ses
« profonds mystères. Je leur apprendrai au premier jour
« de quelle manière ils doivent apprécier mon talent. Je ne
« parle plus en vers, mon imagination se plaît à s'exercer
« sur des matières qui intéressent le genre humain. Que
« mes occupations ne me laissent-elles le temps de refou-
« 1er les traits de la calomnie ! Mais je me vengerai en
cv temps et lieu ; je ne sais quand, mais qu'on se tienne
« sur ses gardes !... »
Cesprotestations semi plaisantes, semi-indignées, étaient
suivies de bouderies passagères vis-à-vis de l'ami Dubreuil
que le néo-gazetier accusait de souffler tour à tour le chaud
et le froid, de faire tout à la fois le prêtre et le clerc. Mais
bientôt son naturel confiant reprenait le dessus ; le rêveur
remontait sur son dada et épanchait dans le cœur du
directeur de la poste les mille préoccupations humani-
taires qui agitaient son âme.
Il maniait sur l'échiquier européen les grands intérêts
que la guerre des Turcs mettait en jeu pour chaque puis-
sance. Il voulait faire concourir les Vénitiens à la destruc-
tion de la Porte. Il voulait Que ne voulait-il pas ?
que la France s'emparât de l'île de Candie ; que les nations
de premier ordre signassent un pacte d'alliance. L'inaction
de la France et de l'Angleterre était condamnable ; c'était
40 AMABLE FAUCON
l'anéantissement de notre commerce dans les Echelles du
Levant ; c'était l'agrandissement de la Maison d'Autriche
menaçant les libertés de l'Europe
Et les Ponts et chaussées ! Quelles refontes à y intro-
duire ! Il avait là-dessus des idées neuves, des concep-
tions grandioses
Les circonstances se prêtaient à merveille à l'utilisation
pratique d'un organe de l'opinion qui s'agitait indécise et
haletante au milieu des pressentiments d'une ère nou-
velle. Les élections, les clubs, les cahiers de doléances
mettaient toutes les têtes en ébullition. Mille questions,
mille théories se soulevaient, dont le pays était avide
d'apprécier les éléments.
Au point de vue local, il s'agissait de savoir quel serait
le siège des assemblées primaires pour la nomination des
députés aux États-Généraux, et jamais occasion plus
favorable ne pouvait se produire de défendre éloquem-
ment les prérogatives de la Sénéchaussée d'Auvergne.
Faucon se jeta éperdûment dans la mêlée des compéti-
tions. On le vit le premier sur la brèche. Il lutta dans sa
sphère pendant que Guillaume Chabrol, quoique septua-
AMABLE FAUCON 41
génaire, reprenait sa vaillante plume toujours au service de
ses compatriotes.
Enfiévré, agité comme la mouche du coche, évoluant
sous les événements qu'il croit diriger, l'ineffable Faucon
devient presque quelqu'un, un personnage en demi-vue,
un peu indéfini, très discuté, mais investi de cette sorte de
consécration que confère la presse. Il est secrétaire du
Salon ; il figure avec Dubreuil parmi les importants de
la Société populaire de Riom ; il préside, en juillet 1790,
l'inauguration du Jeu de Paume ; il complimente, au nom
des patriotes, Mme Le Gros, bienfaitrice de Latude, l'infor-
tunée victime de Mme de Pompadour.
Il est en relation avec le club des Amis de la loi, fondé
par Gilbert Romme chez Théroigne de Méricourt.
Romme, dont l'ambition couve sourdement, a rompu
son silence de sphinx ; ses lettres commencent à se multi-
plier ; elles reflètent les passions, les tendances, les aspi-
rations du jour. Le Bulletin reflète à son tour les lettres
de Romme, les propositions, les revendications et les
projets qu'elles exposent.
Romme est le directeur anonyme de la feuille hebdo-
madaire, l'inspirateur de ses plus saillantes motions. A
lui l'idée de faire enseigner par les Oratoriens la Décla-
ration des Droits de l'homme ; de créer une bibliothèque
gratuite à l'usage du peuple; d'affilier la Société riomoise
aux Amis de la Constitution, en rapport eux-mêmes avec
le club des Jacobins ; d'organiser dans la cité la souscrip-
tion des dons patriotiques. A lui encore le plan de cam-
pagne et les catapultes documentaires dressés en bat-
terie contre Clermont à propos du département, de
l'alternat, du Conseil souverain, des établissements judi-
ciaires.
A force de se faire le porte-parole de son ami, l'apologiste
42 AMABLE FAUCON
de ses théories sectaires, le trompette de sa renommée
Faucon jetait, sans s'en douter, sur le terrain de l'opinion,
les premières semences de la candidature politique du
futur Montagnard.
Aussi n'hésite-t-il pas à recourir à son influence pour
se dégager des entraves que l'imprimeur Dégoutte lui sus-
cite dans son œuvre de journaliste :
« Aidez-moi, lui écrit-il, à me débarrasser du joug
« d'un tyran. Je lui verse 12 livres le mardi, 12 livres
« le vendredi, ce qui fait 52 louis par an, sans compter
« le moindre supplément pour lequel il me fait composer
« à son gré. Il lui est interdit d'avoir des souscripteurs
« pour son compte ; il en a autant que moi. Le jour
« d'impression il vend mon Bulletin 4 sous, le lende-
« main 3 sous. Le meilleur moyen serait d'autoriser à
« Riom une seconde imprimerie en faveur de Landriot,
« beau-frère de Richier. M. Redon qui m'a voulu tou-
« jours du bien ainsi qu'à Richier, sera heureux, sur
« votre recommandation, de me tirer de mon esclavage.
« La conscience et la délicatesse de Landriot m'arrache-
« ronteà l'exploitation dont je suis victime. »
Satisfaction fut donnée au désir du gazetier, et l'autori-
sation réclamée arriva de Paris. Elle trouva Faucon alité,
en proie à d'inquiétants accès de fièvre.
Vers cette époque nous perdons la trace du Bulletin heb-
domadaire dont nous avons cherché vainement un spéci-
men dans les dépôts publics. Le dernier numéro que
signalent nos documents est celui du 20 septembre 1790,
contenant le procès-verbal des obsèques civiles de Clément,
citoyen du canton de Vaud, depuis longtemps au service
des StrogonofT, attaché à la personne de Paul Otcher et de
son gouverneur. 11 fut inhumé dans le jardin de la maison
que Romme possédait à Gimeaux, tenant en mains le livre
AMABLE FAUCON 43
des Évangiles et un exemplaire de la Déclaration des droits
de l'homme.
Mais ce qu'il y a de plus suggestif c'est que nous perdons
en même temps la trace du bon Faucon lui-même. Une
lacune en effet se produit à cette date dans la correspon-
dance intime qui nous a fourni les principaux éléments de
cette monographie. Romme venait d'être brusquement
séparé de son élève, auquel il inculquait des théories liber-
taires peu en rapport avec les principes de gouvernement
de l'autocratique Russie. Il s'était confiné à Gimeaux, le
cœur ulcéré, arborant l'orgueilleuse étiquette de cultivateur,
et cette rentrée dans sa patrie avait mis fin à la chronique
épistolaire de son cher Dubreuil.
Dans cette lacune se voile la physionomie de notre
modeste héros à l'heure même où son profil serait curieux
à étudier.
Qu'advint-il de lui durant la crise révolutionnaire ? Ac-
cueillit-il les excès de 93 ; en partagea-t-il les ardeurs ?
Assurément non. Sa nature moutonnière répugnait au
drame. Le journaliste dut s'évanouir aux premiers gronde-
ments de l'orage politique, comme le poète s'était éteint
aux premiers souffles de l'adversité. Il dut se replier dans
un effarouchement sincère.
Famille et amis, balayés par la tourmente, l'abandon-
naient dans une morne solitude.
La fidèle compagne qui, durant 40 années, avait partagé
sa précaire existence venait d'expirer entre les bras de sa
belle-sœur, fille de la Charité, arrachée au chevet des ma-
lades, et de sa nièce, fille du Carmel, arrachée aux austérités
du cloître. — Beaulaton et Boirat, les Salvert et Chabrol
n'étaient plus ; d'Avaux, Romme et Soubrany s'achemi-
naient vers l'échafaud ; Démichel était réfugié à Strasbourg,
Dubreuil disgracié. Tout semblait disparaître autour de
lui à cette fin de siècle.
44 AMABLE FAUCON
Est-il donc si enviable de vivre au milieu de ruines ?.,
Dans l'introduction à son Album auvergnat, M. Bouillet
énonce avec le laconisme de la certitude « que le poète
Amablc Faucon, chapelier, mourut à Riom, en 1808. »
L'assertion eût mérité d'être contrôlée.
L'état civil de Riom fournit bien, il est vrai, à la date du
12 avril 1808, la mention du décès d'un sieur Amable
Faucon ; mais le défunt, dit l'acte mortuaire, était âgé de
64 ans et ancien capitaine d'infanterie.
En 1808, notre personnage, qui ne fut jamais un
guerrier, aurait compté 84 printemps.
L'Amable de M. Bouillet était le neveu du poète, fils
de son frère Julien, notaire royal à Riom.
Quant au poète lui-même, les registres de la municipalité
riomoise sont absolument muets sur son décès.
Août et Septembre 1895.
Ces pages étaient sous presse lorsque le hasard nous a
fait retrouver, égarés dans nos cartons, un petit cahier
et une lettre d'Amable Faucon qui nous apportent un
dernier écho des préoccupations et des vicissitudes de sa
vieillesse.
Le petit cahier, incomplet du reste, semble avoir reçu
les suprêmes confidences de la muse patoise, qui, aux
confins de la vie, abandonne les chemins jadis frayés,
semés de gauloiseries et de badinages, pour les sentiers
plus mélancoliquement mystiques de la foi, de la religion
et de l'éternité. Ce ne sont plus des chants burlesques, des
facéties épicées, c'est la paraphrase des dogmes sacrés, des
strophes pieuses, que dis-je? des cantiques sur la Mort,
sur le Jugement dernier, sur l'Enfer, sur la vanité des
Modes et des parures, naïvement rhytmés dans la langue
rustique des humbles et des simples. Le ton en est admi-
rable de ferveur et de conviction chrétiennes. Quelle
absolue métamorphose !
La dernière pièce du recueil est intitulée : Le vrai bonheur
nest point sur la terre. Ah ! c'est qu'il en a fait la rude
expérience, le pauvre poète. La vie a cessé d'être rose pour
lui. Cela ressort surabondamment de la lettre qui complète
notre trouvaille.
Cette lettre, datée du 1 6 ventôse, an 8 (7 mars 1800), est
adressée au citoyen Tailhand, neveu de Romme-le-Mon-
tagnard, délégué, en compagnie de MM. Pages et Grenier,
auprès du Premier Consul pour obtenir la fixation à Riom
du tribunal d'appel.
46 AMABLE FAUCON
Elle débute sur le diapason habituel au toujours empha-
tique vieillard : « J'apprends le succès de votre mission.
C'est un arc de triomphe qui brillera sur vos têtes et sur
celles de votre postérité. J'en élève dans mon cœur un
autel de reconnaissance. »
Mais bientôt le lyrisme s'éleint sous le lamentable
exposé que le bon Faucon fait de sa misère.
Il a brisé sa plume de journaliste, — comme nous l'avions
justement pressenti — à l'heure où l'histoire ne s'écrivait
plus qu'avec du sang. En l'an V, à 73 ans ! le Directoire
lui a rendu sa place de conducteur des chemins, encore
sous la férule de l'ingénieur Pitot. Mais ses appointements
ne sont pas payés. Combien de fois lui est-il arrivé de
dîner d'un morceau de pain, près d'une fontaine ! Voilà
1 1 mois consécutifs qu'il travaille sans toucher un sol. Il
a épuisé les avances que lui avait procurées son journal et
il en est réduit à prier son complaisant compatriote d'apos-
tiller et de remettre la pressante pétition qu'il adresse au
citoyen Cretet, conseiller d'État et directeur des Ponts et
chaussées.
Les dernières lignes de cette épître sont navrantes : «Je
puis vous avouer sincèrement, portent-elles, que je suis
dans la détresse, que je manque de tout. Si vous avez
occasion de voir mes enfants faites-leur part de mes besoins
que vous ave\ appris par voie indirecte. »
Au foyer disséminé de la famille ses cheveux blancs
trouvèrent-ils un abri ?
NOTES
NOTES
Baptême d'Amable Faucon
21 septembre 1724.
« Amable Faucon, fils légitime de M0 Pierre Faucon, marchand chapel-
« lier, et d'honnête femme Françoise Roux, son épouse, ses père et mère,
« né aujourd'hui entour midi vingt-un septembre mil sept cent vingt-
« quatre, a été baptisé led. jour. Son parrain, M" Amable Gencs, marchand
« perruquier. Sa marraine, Marie Lafont, fille à feu M0 Jean Lafond, raar-
« chand, laquelle n'a su signer. »
Signé : Faucon, Genêt, Genêt, Genêt, Boisson, prêtre.
Mariage d'Amable Faucon et de Jeanne Jacquet
4 novembre 1754.
« Amable Faucon, me chapelier, fils de Pierre et de défunte Françoise
« Roux, d'une part, et Jeanne Jacquet, fille de défunts Louis et de Perrette
« Dumon (?), de la ville de Lyon, d'autre part, ont épousé dans l'église de
« St-Jean, le quatre novembre 1754, devant nous soussigné Jean Bergou-
« nioux, prêtre et vicaire de ladite église de St-Jean, après les 3 publications
« de leurs bans faites tant aux grand'messes paroissiales de cette ville que
« de celles de la paroisse de St-Nizier, sans qu'il nous ait paru d'opposition,
« que nous ayons découvert aucun empêchement canonique, et en consé-
« quence du congé donné par M. le desservant dudit St-Nizier de lad. ville
« de Lyon pour recevoir la bénédiction nuptiale, comme les parties ont eu
« ensemble une enfant, laquelle enfant s'appelle Gilberte, nous avons
« observé les règles de l'Eglise prescrites en pareil cas pour la légitimation
« dud. enfant; le tout en présence de Me François Bernard, Receveur des
« fermes du Roi; Amable-Gaspard Genès; Jean Gourghon; et Jean-Antoine
■ Aubry, capitaine des Gabelles, soussignés avec nous. »
Signé : Faucon, Genêt, Darmantières, Thevrier, Aubry,
Gourghon, Dumazet, Bergounioux, prêtre.
50 AMABLE FAUCON
Acte de décès de Jeanne Jacquet, Fe. d 'Amable Faucon
2 8 fructidor an II.
« Aujourd'hui, 28 fructidor, 20 année de la République française une et
<( indivisible, à 9 h. du matin, devant moi Etienne-Nicolas Granchicr
« officier public de cette Cue de Riom, sont comparus en la maison O les
« C""es Anne Laurent, âgée de 65 ans, Vve de François Bar, cordonnier, et
« Anne Boutet, âgée de 5i ans, femme de Georges Millier paveur, toutes
« deux domiciliées en cette Cne, lesquelles ont déclaré que Jeanne Jacquit,
« âgée de 66 ans, femme du Cen Amable Faucon conducteur des travaux
« publics, domiciliée en cette O, est décédée le jour d'hier entre 3 et 4 heures
« du soir, dans sa maison rue Nette Son de la Liberté. Sur cet avis, je me suis
« transporté chez lad. Cenne Jeanne Jacquit, où étant, je me suis assuré de
« son décès, et j'ai rédigé le présent acte que j'ai signé. Les témoins dé-
« nommés de l'autre part ont déclaré ne savoir signer de ce enquis, lesd.
« jour et an que dessus. »
Signé : Granchier.
« Et ledit jour entre 3 et 4 h. du soir, moi Martin Dégoutte, membre du
« Conseil Général de cette Cne et Commissaire en mois ai procédé au convoi
« funéraire de lad. Jeanne Jacquit, et l'ai accompagné jusqu'au lieu de sa
« sépulture où j'ai été témoin de son inhumation et ai signé. »
Acte de décès L>'{autre) Amable Faucon,
12 avril 1808.
Aujourd'hui 12 avril 1808, devant moi Antoine Bayle, adjoint au maire
de cette ville de Riom, sont comparus en la maison Cae Antoine Beaude-
loux, âgé de 42 ans, avoué en la Cour d'appel et Jean-Baptiste Legay, âgé
de 43 ans, défenseur au Tribunal de Commerce de cette ville, lesquels ont
déclaré que Amable Faucon, âgé de 64 ans, ancien capitaine d'infanterie,
veuf de Anne Charlotte Lavaivre, domicilié dans cette ville, est décédé ce jour
d'hui, dans sa maison, rue Sous-la-Fontaine des Lions. Sur ce....
Signé : Beaudeloux, Legay et Bayle.
AMABLE FAUCON 5l
SUR LES MODES ET LES PARURES
Air : des Pendus.
Quand le Boun Dieu l'homme creihait
A soun image a le faguet.
Parque charviller sa besugno ?
Au boun sens qu'au da ti répugno.
Parque parer que cheity corps
Que dumo chirot billo mort ?
Loin de yo tous quos furluquets
Que z'ount sous le bras liou chapet
Et un grand toupet à la Grêquo,
Que chint los parfums de la Mèquo ;
Dieu los boutarot dins l'Enfer
Entre le grapaud et la ser.
Loin de yo las fennas d'aneu
Que se fardouns le tour de l'œu,
En bei dos chapiaux de conquetas,
Dos chiniouns garnis de pailletas,
Que tapouns quoqueis quots dos peux;
Los diableis las segound dos œux.
Parque dount tous quos furbunas,
Quellas robas de taffetas,
Toutas qu'ellas bellas pelissas,
Tous quos mours coulour d'eicarvissas ?
Qu'ouest per truper los deibauchas
Et n'en faire dos scélérats.
Chague suras que pau de tems
Deitruirot tout quel ornoment.
La vanita n'est ma posseiro ;
Lia z' est do diable la banneiro;
Qu'ouest d'eilho qu'a fait sa pacho
Per nous counduire dins le crost.
Chrétien, quittot dount le pécha,
De la religio fâche eitat,
Seguo le chamy que lia traço
Qu'ouest le vray sendei de la gracho;
Qu'ouest dins la croux de toun sauveur
Que te troubara le bouneur.
52 AMABLE FAUCON
T'emaye pas das quos moundins
Ni dos proupos dos libertins;
Fach' en sorto que toun exemple
Los rende muets dins le saint temple ;
Vaut be mieux passer per dévots
Que de breuler dins dos fagots.
Quand t'aura saintement viocu,
Que tas pachos t'aura vincu,
Counto, a la fi de ta carriéro,
Que de Dieu t'aura la lumiéro,
Que te quittara que séjour
Per toujours habiter sa cour !
TABLEAU GÉNÉALOGIQUE
Receveur des Tailles en l'Election
Bourgeois et Consul de la Ville,
PIERRE
Président du Dépôt.
Famille FAUCON
r PIERRE, Étudiant en théologie i
PIERRE-JULIEN
né le 27 juillet 1716, ne
f le 14 septembre 179?,
Sccicaire de la Chambre
e la Sénéchaussée d'Auvergn
Notaire royal a Riom,
iMICHELLl:
M1CHELLE PIERRE
Michéllc f le 22 juillet 1768,'
François Dufoub,
Marchand c!
à Riorr
narié le 8 févi
1757,
apelier
Françoise Roux,
-j- le 3 décembre 1746.
Marchand chapelier à Riom,
Poète Auvergnat,
marié le 4 novembre 1764
Fille de laCha
JEAN-CHARLES-PIERRE
MICHELLE
née vers, 69 1,
g novembre 1771
MARIE-MAGDELEINE
vers i728,t le 23 juillet 1768.
PERRETTE
JLWCIIARLES-PIERRH
.;v„u,
! (.endarme royal,
"nfanterie sous
; Consulat,
;-Charlote Lavaivre.
CHARLOTE
: |5 juillet 177
le 23 juillet 1800,
l'hôpital militaire,
près Znaim.
JULIEN
né le 3 janvier 1789,
-j-le 2 pluviôse an IV.
ANNE-CHARLOTTE
née le 6 janvier 1790,
1862,
G1LBERTE
née le 27 décembre
légitimée par le mar
j à l'hospice, le 26 fr
JEANNE
'ml'leYe55
8 prairial
J.-B. Voirin,
lie. .'. Clerm
JEAN-CHARLES AMABLE L«-AMABLE
20 sept. 1757. 7févr. 1759, 23oct. 1760.
Clerc en 1778.
JEANNE JULIEN MARIE CATHERINE JEANNE AMABLE JEAN-CHARLE3-PIERRE MARIE ANNE JEAN-CHARLES-PIERRE
23 sept. 2900t. 3 janvier 7 février 3 janvier 3i mai 19 août 5 mai nnov. 21 septembre ' ~""^
1761. 1762. 1764, 1765. 1767. 1768. 1770. 1772, 1773. 1777,
fie 10 mai 1832. 7marsi70t de Riom,
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